droit bancaire interne
Publié le 25 novembre 2013 par Danielle TARDIEU NAUDET
Les conditions de mise en œuvre de l’article L 650-1 du code de commerce font l’objet, depuis quelques mois, de beaucoup de discussions relatives notamment à son domaine d’application.
Rappelons que ce texte énonce que « lorsqu’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf cas de fraude, d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou de disproportion des garanties prises ».
Issu de la loi n°2005 845 du 26 juillet 2005 sur les procédures collectives, ce texte a été compris comme devant faciliter le crédit aux entreprises en mettant quasiment fin à la jurisprudence sur le soutien abusif qui était considéré comme un frein aux concours bancaires.
Il a créé, selon la doctrine, un régime de quasi irresponsabilité du fournisseur de crédit, sauf recours aux trois exceptions visées par le texte.
Plusieurs années après l’entrée en vigueur du texte, les premières difficultés d’interprétation commencent à apparaître et les premières décisions des juges du fond et de la cour de cassation permettent de cerner, le domaine d’application de la règle posée par l’article L 650-1 du code de commerce (A) et le régime de cette règle (B).
Ce domaine d’application doit être défini dans le temps (1) et dans l’espace (2).
Après la publication de la loi, les premières incertitudes ont portées sur la question de son application dans le temps.
Les juges du fond refusaient, pour la plupart, de l’appliquer aux instances en cours et l’arrêt de la Chambre commerciale de la cour de cassation du 8 janvier 2008 (05-17996) a considéré que l’article L650-1 du code de commerce n’était applicable qu’aux seules procédures ouvertes après le 1er janvier 2006, date de son entrée en vigueur.
Par la suite, cette même chambre, par arrêt du 19 juin 2012 (11-18940) décidait que, le seul élément déterminant l’application du texte était la date d’ouverture de la procédure de sauvegarde ou de la procédure collective, peut important la date des faits reprochés à la banque.
L’article L 650-1 s’applique des lors que la procédure a été ouverte après le 1er janvier 2006, même pour des faits antérieurs à cette date.
Nous examinerons la question du domaine d’application du texte par rapport aux protagonistes (a), et par rapport à la nature des concours consentis (b).
1.2.1. Les protagonistes
Les demandeurs à l’action en responsabilité
L’action en responsabilité est le plus souvent engagée par un mandataire de justice qui agit au nom de l’entreprise sous procédure de sauvegarde ou en procédure collective dans l’intérêt des créanciers.
Si le mandataire n’agit pas, selon la jurisprudence classique, le débiteur en liquidation peut agir contre le banquier.
Enfin, si un créancier de l’entreprise se prétend victime d’un préjudice individuel et spécial distinct de celui subi par l’ensemble des créanciers représentés par le mandataire judiciaire, la jurisprudence admet depuis de nombreuses années que ce créancier est recevable à agir contre celui qui se trouve à l’origine de la ruine de l’entreprise notamment le banquier. (Jurisprudence constante depuis A.P. 9 juillet 1993, n°89-19211).
Dans tous ces cas, il n’est pas contestable que le banquier distributeur de crédit peut leur opposer l’article L 650-1.
L’action peut être également engagée par la caution du débiteur notamment dans le cas d’une demande reconventionnelle lorsqu’elle est assignée en paiement par le mandataire.
Les juges du fond ont, à différentes reprises, admis que les cautions puissent se voir opposer l’article L 650-1 (Douai 21 juin 2012, Montpellier 26 juin 2012, Aix en Provence 28 juin 2012)
De même les arrêts rendus par la Chambre Commerciale les 27 mars (10-20077) et 11 décembre 2012 (11-25795) statuent à l’encontre de cautions qui reconventionnellement recherchaient la responsabilité de la banque.
Certes dans aucun de ces dossiers, la question de l’application à la caution des dispositions de l’article L 650-1 ne s’est pas posée expressément mais on peut penser que la Cour de Cassation n’aurait pas manqué de soulever d’office le problème si elle avait envisagé d’exclure les cautions de l’exception d’irrecevabilité posée par le texte
Les défendeurs à l’action en responsabilité
Compte tenu du terme de « créancier » employé par le texte, le législateur a entendu conserver la jurisprudence qui admettait largement le soutien abusif d’un fournisseur, d’un concédant, d’une société mère ou d’un quelconque partenaire de l’entreprise.
Le banquier est au premier rang de ceux-ci.
1.2.2. La nature des concours consentis
On pouvait se poser la question de savoir si tous les concours consentis à une entreprise ultérieurement objet d’une procédure de sauvegarde ou d’une procédure collective pouvaient entrer dans le champ d’application de l’article L 650-1.
En particulier, fallait-il faire une distinction entre les concours consentis lors de la création de l’entreprise ou pour financer son développement alors qu’elle est in bonis et ceux accordés à une entreprise en difficultés.
En l’état, cette distinction n’est pas admise.
Dans la plupart des décisions dont nous avons connaissance, la question de la date des concours n’est pas soulevée.
La cour de Paris dans une décision du 8 mars 2012, admet l’application de l’article L 650-1 alors que les concours incriminés avaient été consentis à une société apparemment in bonis.
Dans toutes les cas ayant donné lieu aux décisions citées ci-dessus, les concours ont été consentis pour financer l’acquisition ou le démarrage de l’entreprise (Douai 21 juin 2012 prêt consenti pour l’acquisition d’un fond de commerce ; Amiens 10 mai 2012 prêt consenti pour acquisition d’un pas de porte et du stocks ; Montpellier 26 juin 2012, prêt consenti pour le démarrage d’une société) et la question de l’application de l’article L 650-1 aux concours accordés à une société in bonis qui fait ultérieurement l’objet d’une procédure de sauvegarde ou de liquidation, ne s’est pas expressément posée.
Cependant, certains mandataires liquidateurs, refusent de se voir opposer les dispositions de l’article L 650-1 pour des concours accordés au moment de la création de l’entreprise ou pour le rachat du fonds de commerce.
Dans une affaire soumise au tribunal de commerce d’AIX en Provence, le mandataire liquidateur qui engageait la responsabilité d’une banque pour avoir accordé des concours prétendument fautifs à une société déclarée ultérieurement en liquidation judiciaire, soutenait, avec l’appui d’une consultation du professeur Didier PORACCHIA, que les dispositions de l’article L 650-1 ne s’appliquaient pas lorsque les concours litigieux ont été consentis pour financer la création de l’entreprise mais seulement lorsqu’ils ont été fournis à une entreprise en difficultés
Le tribunal de commerce d’Aix en Provence, par une décision en date du 4 juin 2012, a fait droit à son argumentation et a écarté l’application de l’article L 650-1 aux motifs que les dispositions de cet article « s’appliquent exclusivement aux entreprises en difficultés, toute autre interprétation de cet article conduirait à consacrer l’irresponsabilité du banquier sauf en cas de fraude, d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ses concours sont disproportionnées à ceux-ci, lorsque le débiteur est en procédure collective » !!!
La cour d’appel d’Aix en Provence dans une décision du 7 novembre 2013 a infirmé le jugement et a jugé que l’article L 650-1 du code de commerce « qui instaure un régime dérogatoire à la responsabilité de droit commun, s’applique dès l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre d’un débiteur ayant bénéficié de concours consentis par des créanciers, que ces concours aient été accordés ou non antérieurement à l’ouverture de la procédure collective».
La motivation est certes laconique mais elle nous parait suffisante. Il n’y a pas lieu de faire de distinction là où le législateur n’en fait pas : le seul critère d’application de l’article L 650-1 du code de commerce est la situation de l’entreprise.
Comme une grande partie de la doctrine l’a relevé, la cour suprême entend appliquer largement l’article L 650-1 et mettre en avant le principe d’exclusion de responsabilité dans le but de rassurer les banquiers.
Cette volonté ressort explicitement des conditions de mises en œuvre de la responsabilité imposées par la cour de Cassation dans les arrêts rendus en 2012 concernant :
Le texte énonce que pour s’opposer au principe d’irresponsabilité du préteur, le demandeur devra démontrer, soit la fraude, soit l’immixtion caractérisée, soit la disproportion des garanties prises.
On pouvait penser que dès lors qu’une de ces trois exceptions était démontrée, la responsabilité du préteur était engagée sous réserve que la victime justifie d’un lien de causalité et de son préjudice : les cas d’exceptions étaient considérés comme des cas de responsabilité en tant que tels.
On pouvait aussi n’envisager ces cas d’exceptions que comme des cas d’ouverture de l’action en responsabilité du fait des concours consentis qui imposeraient à l’emprunteur de faire la preuve, dans un deuxième temps, de la faute de la banque.
La cour de cassation a adopté la deuxième thèse dans un premier arrêt du 27 mars 2012 (10-20077 ; J.C.P. ed. G 2012 p.1049 note Piedelièvre), confirmé par des arrêts des 19 juin 2012 (11-18940) et 11 décembre 2012 (11-25795)
Elle décide que « lorsqu’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsable des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou de disproportion des garanties prises que si les concours consentis sont en eux même fautifs».
La cour suprême montre ainsi qu’elle n’entend pas abandonner sa jurisprudence sur l’octroi de crédits fautifs mais qu’elle impose à la victime de démontrer préalablement l’un des trois cas réservés, susceptibles de faire tomber l’irresponsabilité de l’article L 650-1 du code de commerce avant de démontrer que le concours octroyé était fautif ou ruineux.
Pour la doctrine, les trois cas d’irresponsabilité constituent un premier filtre (Pièdelievre : article précité) ou un premier verrou (P.Hoang : Dalloz 2012 p. 2034) qui se superpose à la démonstration d’une faute de la banque dans l’octroi des concours.
En affirmant explicitement la nécessité de démontrer le caractère fautif des concours, la cour de cassation n’a pas, pour le moment, précisé quelle cause de responsabilité, elle englobe sous le vocable de « crédit fautif » qui est, à notre avis, plus large que ceux de « crédit ruineux » et « soutien abusif ».
Il est vraisemblable que la cour de cassation reprendra sa jurisprudence sur le soutien abusif, c'est-à-dire celui qui est consenti à une entreprise dont la banque connaissait la situation irrémédiablement compromise et sur le crédit ruineux c'est-à-dire celui dont le montant et le coût sont incompatibles avec la situation de l’entreprise, qu’elle soit ou non déjà en situation irrémédiablement compromise.
Il faut penser que les magistrats retiendront également dans le champ d’application de l’article L 650-1, les fautes commises par le banquier à l’occasion de l’octroi de crédit, tel le défaut de conseil et surtout le défaut de mise en garde.
Rappelons que la banque ne commet une violation du devoir de mise en garde que si elle consent à son client (non averti) un concours inadapté à ses capacités financières entraînant un risque d’endettement excessif, ce qui est une situation très proche du crédit ruineux.
Dans une décision du 8 mars 2012, la cour de Paris appelée à statuer sur l’application de l’article L 650-1 à une action en responsabilité engagée par un mandataire liquidateur sur le fondement de la violation du devoir de mise en garde a rejetté l’action en énonçant : « considérant qu’en reprochant aux banques un manquement à leur devoir de mise en garde à l’occasion de l’octroi de leur concours , Maître Souchon, es qualités ne caractérise ni même n’invoque une fraude, une immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou une prise de garantie excessive…. »
Pour la cour de Paris, le fait que l’action ait été engagée sur la base de la violation du devoir de mise en garde ne fait pas échec au jeu de l’article L 650-1 et l’emprunteur doit, avant de démontrer la violation du devoir de mise en garde, justifier d’un des cas d’ouverture de l’action en responsabilité.
Cette décision nous parait parfaitement fondée : le fait que la banque consente, sans mettre en garde son client profane, un concours inadapté aux capacités financières de l’entreprise et générant un risque d’endettement est constitutif d’une faute.
Si l’emprunteur est en procédure collective, ce concours entre dans le champ d’application de l’article L 650-1 et la responsabilité de la banque ne peut être engagée que sous la double condition de la preuve de l’un des trois cas d’ouverture et du caractère fautif du concours.
L’article L 650-1 s’applique sous la seule condition de la situation de la société emprunteuse, peu important le fondement de l’action en responsabilité.
En conclusion, en tant que conseils de banque confrontés régulièrement à l’application de l’article L 650-1, il nous semble que les premières décisions rendues témoignent d’une volonté des magistrats de donner à cet article la portée la plus large et de confirmer l’instauration d’un régime de quasi irresponsabilité annoncé par la doctrine au lendemain de la loi.
En l’état, l’article L 650-1 s’applique aussi bien au débiteur principal qu’à ses cautions, pour un concours consenti à une entreprise in bonis ou à une entreprise en difficulté, pour toute action en responsabilité ayant pour fondement un concours fautif au sens large.
Il n’est pas exclu cependant que dans les mois à venir la jurisprudence se précise : nous vous en tiendrons fidèlement informés.
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