Transfert du droit de suite et faute du créancier


droit bancaire interne droit commercial contentieux et arbitrages

Publié le 14 avril 2020 par Denis LAURENT


(Cass Com 5 février 2020 N° 18-22.533)

 

L’article L642-12 alinéa 4 du Code de Commerce institue, en cas de plan de cession, le « transfert du droit de suite »

« Toutefois, la charge des sûretés immobilières et mobilières spéciales garantissant le remboursement d'un crédit consenti à l'entreprise pour lui permettre le financement d'un bien sur lequel portent ces sûretés est transmise au cessionnaire. Celui-ci est alors tenu d'acquitter entre les mains du créancier les échéances convenues avec lui et qui restent dues à compter du transfert de la propriété ou, en cas de location-gérance, de la jouissance du bien sur lequel porte la garantie ».

Dans la mesure où, souvent les sommes restant garanties sont très supérieures à la valeur du gage ou de l’entreprise dans son ensemble, il est fait usage des accords dérogatoires prévus par le texte :

« Il peut être dérogé aux dispositions du présent alinéa par accord entre le cessionnaire et les créanciers titulaires des sûretés. »

 

Dans une affaire (jurisprudence commentée) dans laquelle un ensemble de banques disposait d’un stock gagé (valorisé à plus de 700.000€) avec bénéfice de l’article L642-12 alinéa 4, les établissements ont été amenés à consentir à une cession du stock pour un prix de 107.000 € au cessionnaire de l’entreprise, et ce pour permettre le plan de cession.

Une des banques met ensuite en œuvre le cautionnement du dirigeant ; lequel oppose alors les dispositions de l’article 2314 du Code Civil :

« La caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution. Toute clause contraire est réputée non écrite. »

La caution (qui en tant que dirigeant avait pourtant participé à la cession des stocks) opposait à la banque cette « perte de subrogation » car l’établissement avait accepté, avec les autres banques, une cession pour un prix dérisoire.

Assez classiquement, la Cour d’Appel décide que :

« en acceptant avec les autres établissements bancaires l'offre du repreneur de réduction de la valeur du stock gagé, dans le cadre d'un accord dérogatoire autorisé par les dispositions de l'article L.642-12 du code du commerce, et à qui il n'est pas reproché d'avoir abusé de son droit de consentir à une telle dérogation, n'a pas commis de faute propre à engager sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du code civil devenu l'article 1240 ; »

 

Cependant la Cour de Cassation dans son arrêt du 5 février dernier a pris manifestement une position différente :

« Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, en acceptant l'offre du cessionnaire de reprise du stock gagé pour une valeur prétendument dérisoire, tout en se sachant par ailleurs garantie par le cautionnement litigieux, la banque n'avait pas empêché la subrogation de la caution dans des droits qui pouvaient lui profiter, et donc commis une faute de nature à engager sa responsabilité civile, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision »

 

Bien entendu, l’appréciation du caractère éventuellement dérisoire et de la faute appartiendra à la Cour de Renvoi.

 

Néanmoins, la Cour de Cassation ouvre en grand la contestation des cautionnements à raison de situations où les établissements bancaires n’ont, la plupart du temps, que très peu d’option.

 

Ainsi : Que peut faire une banque dans la situation (fréquente) où il n’y a qu’un seul réel candidat à la reprise, lequel soumet son offre à un accord dérogatoire dans des conditions drastiques ? La banque doit-elle refuser l’accord du fait de sa garantie et condamner l’Entreprise à la liquidation judiciaire et donc la fermeture avec licenciements ?

 

Il est manifeste que :

- soit cette jurisprudence va évoluer dans son principe

- soit l’appréciation de la faute par les juridictions du fond limitera l’application de cette défense aux cas véritables d’abus (notamment ceux où les banques disposeraient de plusieurs solutions totalement équivalentes pour elles et auraient choisi celle défavorable au garant).

 

En l’attente, il doit être recommandé de conserver le plus possible d’informations et pièces, sur le contexte de ces propositions d’accords dérogatoires pour justifier ultérieurement de ces éléments dans le cadre des contestations des garants.